Je souhaite revenir sur une critique des expériences de psychokinésie réalisées par René Peoc'h, encore répandue dans et par la communauté sceptique et prétendant invalider lesdites expériences. Il s'agit de la critique du zététicien Damien Triboulot. La vacuité de cette critique a déjà été exposée par Pierre Macias et sa teneur en pseudo-scepticisme a déjà été exposée sur le site zetetique.canalblog mais cela n'empêche qu'elle est encore remise sur table comme si elle mettait un terme à la discussion. Je souhaite donc reformuler la critique de cette critique pour lui apporter plus de visibilité. Ce texte n'a pas pour prétention de valider les expériences de Peoc'h, mais seulement d'expliquer en quoi consiste cette critique de Triboulot qui n'a aucune pertinence. C'est d'ailleurs très simple, ce qui illustre bien combien on peut s'exposer à ne pas comprendre quelque chose quand on est obsédé par ses convictions a priori à absolument vouloir réfuter.
L'expérience et les résultats de Peoc'h
Les animations ci-dessous représentent quatre répétitions de l'expérience de Peoc'h.
Je ne vais pas prendre la peine de décrire en détail cette expérience. Des liens donnés à la fin de cet article le font déjà pour moi, la vidéo est évidemment idéale pour visualiser l'expérience. Les détails sur la réalisation technique de l'expérience et son protocole sont donnés dans la thèse de Peoc'h. Les animations ci-dessus sont évidemment schématiques mais elles montrent parfaitement bien le principe.
L'expérience consiste à faire démarrer un robot (tychoscope) au centre d'un enclos rectangulaire, puis à le laisser se déplacer tel qu'il est programmé, c'est-à-dire en effectuant des pas de façon aléatoire, pendant un certain nombre d'itérations. Une fois que le robot a fini son trajet, on comptabilise le nombre de fois où il a touché le demi-périmètre rouge et le nombre de fois où il a touché le demi-périmètre bleu. À l'issue de ce trajet on a donc un "vainqueur" (pour reprendre le terme des animations précédentes), bleu ou rouge. La loi régissant le mouvement aléatoire du robot est symétrique, c'est-à-dire que son comportement est le même si on retourne le rectangle, et tout ce qui peut se passer sur un demi-périmètre, se passe de façon équiprobable sur l'autre demi-périmètre :
Ainsi les deux issues possibles de l'expérience, c'est-à-dire les deux vainqueurs possibles, bleu ou rouge, se comportent comme un jeu de pile ou face lorsqu'on répète cette expérience, équilibré, c'est-à-dire que chaque issue a 50% de chance de se réaliser.
Cette propriété d'équiprobabilité a été vérifiée par Poec'h sur les expériences témoins (c'est le but de ces expériences). L'expérience a été répétée 100 fois. Au total, le robot a touché 1771 fois le demi-périmètre rouge et 1857 fois le demi-périmètre bleu. Ce n'est pas ce résultat qui est pertinent, mais l'ensemble des résultats par tracé : bleu a gagné 54 fois et rouge a gagné 46 fois. Un test statistique (binomial ou chi-deux) avec ces données ne montre pas d'évidence que la propriété d'équiprobabilité est violée, comme attendu.
Peoc'h a réalisé une autre série de 100 expériences en y plaçant de plus un poussin dans une cage située au niveau du coin supérieur gauche de l'enclos, comme le montre cette figure :
Ce poussin a aussi été conditionné à être attaché à ce robot (Konrad Lorenz a montré que le mécanisme d'attachement à la mère de certains animaux peut s'exercer sur un objet), mais je ne m'attarde pas sur ces détails qui sont disponibles dans les liens à la fin de cet article.
Sur ces 100 expériences avec poussin, bleu a gagné seulement pour 22 trajets, alors que rouge a gagné pour 78 trajets. Un test statistique montre cette fois, contrairement aux expériences témoins, une évidence en défaveur de la propriété d'équiprobabilité, comme si le robot était effectivement influencé par le poussin.
La critique de Triboulot : l'effet de bord ou de coin
La description de ces expériences et de leurs résultats est, vous en conviendrez, plutôt simple. Mais Damien Triboulot a relevé une caractéristique de l'expérience, l'effet de bord ou l'effet de coin, qui selon lui met fin à la pertinence des expériences de Peoc'h.
Cet effet a bien lieu. On peut même l'observer sur les simulations précédentes. Mais la réponse à cette critique est tout simplement : Oui, et alors ?. Personne ne nie la présence de cet effet, mais elle ne change absolument rien a ce qui a été dit auparavant.
Voici en quoi se résume cette fameuse critique de Triboulot :
La réalité est un peu moins simple, (ou simpliste) toute personne sensé comprendra que, dans son mouvement aléatoire, le mobile rencontrera forcément un bord. Etant stoppé par ce bord et ne pouvant aller plus loin, il sera obligé de rebrousser chemin. Il se crée donc dans cette zone un amas de déplacement qui donne l'impression que le mobile est attiré par le bord. De ceci, on peut déduire que le cadre crée une singularité que l'on peut appeller effet de bord. De la même façon, il existe un effet de coin. Le cadre ayant quatre bords et l'effet de bord se répartissant équitablement et il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il se produise parfois sur le bord où se trouve le poussin.
Il se produit un effet de bord, oui et alors ? La critique se poursuit par une accusation de fraude mais sans donner une seule raison d'y croire :
Un tri judicieux des différents tracés obtenus permet de renforcer l'effet.
Pierre Macias, dans sa critique de la critique, s'est fatigué à produire des statistiques sur des simulations pour montrer, non pas que l'effet de bord n'existe pas, mais qu'il y a bien équiprobabilité malgré cet effet de bord. D'ailleurs cela a aussi été vérifié sur les expériences réelles par Peoc'h : c'était précisément le rôle des 100 expériences témoins.
Les échos de Triboulot
Voici le genre de critiques que j'ai pu lire sur des discussions récentes de réseaux sociaux, par des individus se revendiquant du scepticisme ou de la zététique, inspirés par cette démonstration aride de Triboulot :
- « Un vulgaire effet de bord tout bête » : attitude certaine de détenir la vérité par celui qui n'a rien compris, partant du principe que c'est la personne qui s'interroge en face de lui qui n'a rien compris.
- « les statisticiens qui se sont penchés sur ces résultats ont relevé des tas de biais » : cette information se trouve aussi sur Wikipédia, mais elle n'est pas sourcée.
- « les 50% ne sont pas uniformes dans chaque moitié du rectangle, les densités sont plus grandes sur les bords et sur les coins, et il se peut que par hasard on mette en évidence un effet qui n'en est pas un » : sur un tracé, oui. C'est tout l'intérêt de répéter l'expérience, un effet de bord peut se passer dans un coin aussi bien que dans l'autre. Cela ne remet pas en cause l'équiprobabilité entre bleu et rouge.
- « les relevés ne sont pas représentatifs des tracés, parce qu'ils sont pris sur le périmètre uniquement » : admettons, et alors ? Cela n'est pas une raison pour que la propriété d'équiprobabilité entre bleu et rouge n'ait pas lieu, comme elle a bien lieu sur les expériences témoins.
En somme, les tenants de cette critique n'ont pas compris ou plutôt ont bien cherché à ne pas comprendre. Ils imaginent des choses compliquées plutôt que de comprendre quelque chose de très simple, et ils n'auraient certainement pas cherché tout ça si la conclusion de ces expériences n'était pas si étrange pour eux. Ces mêmes personnages, qui se revendiquent du scepticisme ou de la zététique, ne pensent jamais à des choses pareilles lorsque, à l'inverse, la conclusion va en leur sens.
Liens
- La thèse de René Peoc'h
- La critique de Damien Triboulot, référée par ailleurs sur le site de l'AFIS
- La critique de la critique par Pierre Macias
- Le Cercle Zététique et les expériences de René Peoc'h par GEIMI / Skeptical Investigation. Damien Triboulot n'a jamais réagi au courrier de GEIMI / Skeptical Investigation.
- Le tychoscope sur Wikipédia. L'article affirme sans aucune référence que Ces travaux ont fait l'objet de critiques plus ou moins sévères, « coquilles » dans les calculs, « flous » dans les protocoles ou même interprétations erronées et biais statistiques non contrôlés.
- Un dossier du CERPI
- Un article sur paranormal-info : « L’effet occasionné ne serait en réalité qu’une influence des "bords" (quand le tychoscope rencontre un bord, il a tendance à en rester plus longtemps proche ce qui fausserait les calculs). Pierre Macias a répondu à cette critique et montre qu’elle n’est pas valide. De plus, si cet effet avait une incidence, les tracés avec poussins ne seraient pas différents des tracés test. »
- Zététique et Parapsychologie par Alain Moreau
- Dictionnaire de l'impossible de Didier van Cauwelaert
- Parapsychologie et désinformation de Bruno Lussato
- Vidéo Le tychoscope et la psychokinèse